Je pense que le nouvel activisme moderne des réseaux sociaux risque de créer / activer / réactiver du stress post-traumatique chez plein de gens. Bon, oui j’ai des biais, et « plein de gens » c’est vague. Mais il se passe actuellement quelque chose sur les réseaux sociaux qui n’est pas très sain et dont les conséquences sont déjà visibles.
« Il faut qu’on parle. » (Vous aussi cette phrase vous colle des sueurs froides ? Bienvenue, prenez un siège…)
Trigger Warning : on va parler de ce qu’il se passe à Gaza actuellement. Je ne vais pas faire de description graphique. Puis je vais surtout parler des réactions publiques à ce propos. Si vous avez été / êtes victime de harcèlement quelle que soit sa forme, cet article peut potentiellement vous déclencher un flashback. À vous de voir si vous êtes en état de lire ou pas. Vous pouvez éviter de lire. Petit résumé : les réactions des gens autour du génocide palestinien risquent de créer du syndrome de stress post-traumatique dans « l’armée virtuelle qui défend », les « alliés potentiels à recruter », et des dommages collatéraux. Personnellement, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne stratégie de militantisme.
L’activisme et le stress post-traumatique
Pour faire un petit résumé de ce qu’il se passe, nous avons plusieurs catégories de comportements (je vais encore vous faire une liste…). Il y a un groupe de harcèlement ciblant des gens sur leur prise de position (ou leur absence). Puis il y a le groupe qui partage des informations venant des medias ou d’autres moyens « officiels ». Et enfin, le groupe qui reporte les horreurs en partageant les vidéos et ou en décrivant textuellement le contenu de ces vidéos.
Pour le groupe harcèlement, nous savons déjà que le harcèlement a des conséquences néfastes sur les victimes. Ayant été victime de harcèlement sur une grosse majorité de ma scolarité, je peux vous dire premièrement que cela n’aide pas quelqu’un à changer d’avis ou à être moins bizarre. Puis cela a eu des conséquences sur mon utilisation des médias sociaux. Je poste moins, et c’est embêtant parce que je parle beaucoup de neuroatypies et de handicap, aux yeux de cibles qui ont besoin d’avoir ces informations. J’ai fini par mettre de côté mon militantisme, ce qui est dommageable pour les personnes neuroatypiques qui auraient bien besoin d’un coup de main et personne ne vient crier pour eux.
Le groupe « partage d’informations » a un effet un peu plus insidieux. Vous avez sans doute remarqué qu’une actualité anxiogène ne vous mettait pas de bonne humeur au contraire. C’est angoissant. Surtout ces dernières années… Mais ce groupe va plus loin en diffusant du contenu violent. Comme des vidéos provenant de Gaza, au contenu atroce. Puis une description textuelle de ces vidéos. Impossible d’y échapper. (Parce qu’ils ont des techniques pour passer au-delà des blocages que vous avez réglés…).
Et l’exposition à du contenu violent risque de créer du stress post-traumatique chez les personnes y faisant face.
Le problème est que le groupe soutient qu’il ne faut pas fermer les yeux, et qu’il faut absolument s’informer.
Il faut donc voir ces images. À quel prix ?
Je vous ai déjà parlé de stress post-traumatique.On sait déjà que l’exposition à des contenus violents peut créer du stress post-traumatique. Les modérateurs de Facebook en ont déjà parlé par exemple.
Et le stress post-traumatique n’aide pas à être un bon militant, au contraire. Le stress post-traumatique est un poison qui vous persuade que tout est dangereux, que vous n’avez pas de valeurs. Votre mémoire devient un disque rayé qui répète les mêmes évènements horribles en boucle en permanence. La peur. L’hyper-vigilance. Le stress post-traumatique est handicapant au quotidien.
Et vous savez comment on traite les gens handicapés dans notre pays ? Spoiler alert : mal.
Handicaper les militants, les alliés potentiels, les personnes en dehors de la bulle, ce n’est pas la meilleure idée…
Malheureusement, dans ce militantisme, vous n’avez pas le droit de détourner le regard pour vous protéger. Quelqu’un va toujours chercher à remettre vos yeux devant les pires horreurs. (C’est vrai. J’ai eu une conversation à ce propos. Pas le droit à la santé mentale tant qu’il y a un génocide en cours)
Que faire ?
Personnellement je bloque à tour de bras. L’ennui est que cette méthode nous rend dépendant de la plateforme. Si le patron de la plateforme (coucou Twitter) décide de changer les réglages, on perd tout… Autre soucis : des personnes dont je veux lire le contenu se font le relai de contenus sensibles.
J’ai aussi muté les mots, pour que les posts utilisant les mots n’apparaissent plus sur mon fil. Bon là aussi on est dépendant des réglages de la plateforme… Et des petits malins s’amusent à changer l’orthographe des mots pour passer à travers les blocages.
La seule solution qui fonctionne pour l’instant de mon côté c’est de diminuer ma consommation des réseaux sociaux, ou d’y aller avec une intention (ex : voir tel contenu, poster tel contenu). Du coup je ne suis plus informée…
L’ennui est que les réseaux sociaux sont pour certaines personnes le seul endroit à peu près sécurisé pour sociabiliser, maintenir ou créer du lien social. Je pense aux personnes autistes par exemple. Ces espèces de geek totalement passionnés par un sujet particulier… Qui se retrouvent entre personnes bizarres sur ces réseaux. L’avantage de créer un groupe de gens bizarres c’est que la bizarrerie devient la norme, enfin. Et puis forcément parmi ces gens vous allez statistiquement trouver plus de gens traumatisés. Donc plus sensibles face au contenu violent et au harcèlement. Le militantisme actuel détruit le seul espace sécurisé de ces personnes marginalisées.
Puis pour certaines personnes les réseaux sociaux font partie de leur travail. Comment éviter les réseaux sociaux dans ce cas ?
Et pour les militants eux-mêmes… J’ai lu des personnes disant qu’elles allaient faire une pause des réseaux. Cette solution a l’avantage de ne pas dépendre des réglages de la plateforme… Mais il y a moins de militants après.
Comment militer alors ?
C’est un peu la stratégie du choc en fait. Personne n’ouvre les yeux donc il faut choquer pour en parler.
Oui mais le choc… Ce n’est pas une stratégie durable. Parce que les « visiteurs », les gens présents sur les réseaux qui sont exposés vont finir par bloquer tout ce qui est en rapport avec ce sujet. Et les militants vont s’épuiser à crier dans le vide et devenir traumatisés par toute la violence ingérée.
Que faut-il faire alors ?
En parler entre militants déjà. Je pense qu’une solution serait de moins s’exposer au contenu violent. Ou en tout cas en parler, faire des pauses.
Et comment militer… Il faut en parler entre militants. D’autres militants sur d’autres sujets ont probablement une expérience intéressante à apporter au mouvement.
À mon sens on vit dans une société qui rend possible ces guerres. Donc ça va se reproduire. Donc il faut s’organiser pour pouvoir tenir mentalement face à tout ça, afin d’être plus efficace.
Parce que pour arrêter ces guerres il faut changer la société. Et pour ça on a besoin de tout le monde, de créer du lien avec tout le monde, et même les gens qui n’ont pas la possibilité mentale de s’ingérer toutes les vidéos horribles. Et il va falloir trouver le moyen de créer ce lien-là.